In my end is my beginning

In my end is my beginning est une production scénique en l’honneur de l’infortunée reine d’Écosse Mary Stuart (1542-1587). Nous employons le terme « production scénique » faute de meilleur terme : malgré des similarités avec le format classique du récital – une chanteuse sur scène, accompagnée d’un luth et d’un pianoforte –, In my end is my beginning va beaucoup plus loin : c’est aussi un concert adapté pour la scène, un opéra de chambre, un événement multimédia, un paysage sonore, et même un clip vidéo.

En ma fin gît mon commencement : telle était la devise que la reine Mary avait adoptée dans l’espoir de connaître la paix éternelle après la mort. Mais sa fin engendra aussi un répertoire musical sans précédent par sa taille et sa diversité. Ce n’est guère surprenant, étant donné sa vie inhabituellement mouvementée : véritable balle dans la bataille entre l’Angleterre, l’Écosse et la France, choix de mariages hasardeux, maris assassinés, exil, emprisonnement, désir trop évident d’occuper le trône de sa puissante cousine Elizabeth : les 45 années que Mary a passées sur terre ont connu une fin tout aussi tragique que leur déroulement. Sur le billot.

Les historiens oscillent toujours d’un extrême à l’autre dans les portraits qu’ils dressent de la reine d’Écosse – meurtrière sans vergogne ou imbécile incapable ? –, mais nous n’avons pas à décider qui elle était : nous nous appuyons sur la musique et les images pour créer un espace conceptuel dans lequel vous choisirez vous-mêmes comment aborder ces reflets contrastés.

Les nombreux visages de Mary ont été dilués dans un répertoire musical qui aborde frénétiquement d’innombrables paramètres. Plutôt que d’éviter cette diversité, notre production cherche à l’englober : nous interprétons des pièces de musique française et écossaise de l’époque même de Mary, et d’autres inspirées par elle, de 1650 (Lamento di Maria Stuart de Carissimi) à 1942 (la mélodie Ein schwarzer Stein, ein weißer Stein que Zarah Leander interprète dans Das Herz der Königin), en passant par Maria Stuarda de Donizetti et le cycle Gedichte der Königin Maria Stuart de Schumann. Nous découvrirons aussi des contemporains oubliés de Schumann, comme Joachim Raff (1822-1882).

Ces ingrédients anciens sont assemblés dans une dynamique scénique décrivant une spirale descendante, également mue par des sons novateurs : nous avons demandé au compositeur néerlandais Robert Zuidam de composer de nouvelles mélodies sur les sonnets que Joseph Brodsky a dédiés à Mary Stuart, des odes déchirantes sur l’amour déçu et l’exil, dessinant une toile de fond adéquate à la situation désespérée de Mary.

Les mélodies de Brodsky-Zuidam instaurent une perspective englobante et une seconde « couche narrative » figurée par un narrateur externe. Un autre élément vient renforcer l’ensemble : le sentiment de malaise croissant qui infuse le dispositif scénique. Les trois actes de la représentation s’articulent autour de The Four Mary’s, une berceuse de l’époque de Mary qui résonne comme un enregistrement phonographique grêle, toujours plus désagréable à chacune de ses répétitions. Zuidam instille également cet inconfort croissant dans son écriture : au fil du spectacle, on peut entendre des positions toujours plus graves et plus inconfortables dans l’accompagnement au luth. La projection vidéo d’Anouk de Clercq et Tom Callemin joue avec la lente dégradation d’une pierre blanche et noire – « des talismans contre la maladie » – que Mary a léguée à son beau-frère Henri, le roi de France, six heures avant d’être décapitée.

Puristes du baroque, sachez-le, nous avons revu les accompagnements orchestraux en prenant quelques libertés avec la rigueur historique, cela afin d’accorder le luth et le piano forte. Le piano forte était initialement employé pour les œuvres du XIXe siècle, mais associé au luth, il instaure une couleur et instille une ambiance d’« époque » à la musique du XVIIe siècle à laquelle il n’appartient pas. Comparé au clavecin, le piano forte est un piètre partenaire de continuo ; nous l’utilisons donc pour peindre des accords dissonants, de temps à autre amplifiés par l’électronique pour soutenir des leitmotivs de retard et de désintégration.

Précisons cependant qu’aucun puriste n’a été choqué lors de la création néerlandaise aux Operadagen à Rotterdam (24 mai 2018) ni lors de la première belge au vénérable festival de musique ancienne de Bruges (10 août 2018). Il n’y a pas non plus de raison que quiconque se sente offensé : la musique historiquement informée, loin d’être fétichisme ou archéologie des instruments, a plutôt été conçue comme une tentative de (re)contextualiser la musique ancienne de façon que les publics modernes puissent la décoder et y avoir accès plutôt que de simplement l’admirer passivement dans un musée.

Recontextualiser et revitaliser : voilà précisément ce que fait cette production. Nous mêlons musique, poésie, vidéo et électronique dans un spectacle qui confère authenticité et réalisme brutal à tous ses ingrédients. En conséquence, même des matériaux qui n’étaient pas conçus comme de « l’art noble » deviennent étonnamment significatifs : vers la fin du spectacle, quand les musiciens et les spectateurs ont tous tant souffert à cause de Mary qu’ils aspirent presque à sa mort – aussi cruel que cela puisse sembler –, le stoïcisme de la mélodie de Zarah Leander offre une infime consolation – quels que soient les soupçons quant à ses initiales intentions nazies.

Il peut être difficile de reconnaître l’effet cathartique de notre concept ; la recette est cependant plus efficace que nous l’avions anticipée : si nos premiers spectateurs ont peut-être été séduits par l’immense tristesse de la reine condamnée ou par une forme douteuse de voyeurisme, nous avons enregistré après les deux premières des réactions (très) sensibles à des thèmes bien plus actuels. Nous avons été ravis que notre représentation scénique du destin de Mary ait permis d’aborder certaines préoccupations majeures d’aujourd’hui : l’intolérance, l’exclusion et l’exil sont aujourd’hui bien plus déterminants que la culpabilité ou l’innocence d’une reine de la Renaissance…

La première de ce projet lors du festival Operadagen Rotterdam en mai 2018 a été saluée par une critique ***** dans le Theaterkrant: www.theaterkrant.nl

  • Lore Binon, soprano
  • Anthony Romaniuk, pianoforte
  • Sofie Vanden Eynde, luth & théorbe
  • Anouk De Clercq & Tom Callemin, visuals
  • Jo Thielemans, technique
  • Luc Schaltin, lumières
  • Robert Zuidam, composition
  • Lieve Meeussen, costumes

Past performances :

mai 2018 : Operadagen Rotterdam

juin 2018 : AlbaNova Festival Alden Biesen

août 2018 : MAfestival Brugge

septembre 2019 : Great Amber Concert Hall Liepaja (LV), festival Liepaja Art Forum